Note Historique sur les Compagnies Franches de la Marine

 

 

Quelques rappels historiques

 

1622 Le Cardinal de Richelieu créé des « Compagnies Ordinaires de la Mer »

but => défense des vaisseaux, des colonies, des ports et des arsenaux.

1626 Ces Compagnies sont réunies dans le régiment de la « Marine »

1635 Le cardinal de Mazarin transforme le régiment « La Marine »  en « Cardinal-Duc »

1636-38 création de 4 autres régiments de mer :

le régiment des Galères à Marseille,

le régiment des Iles à Brouage (ville de naissance de Samuel de Champlain),

le régiment de la Couronne et  le régiment des Vaisseaux.

1643 Mazarin verse les régiments de la marine à l’armée de terre  

1669 Le ministre de Louis XIV, Colbert met sur pied deux régiments pour la mer : le « Royal-Marine »  (Brest) et « L’Amiral »  (Toulon) Ceux-ci iront aussi à l’armée de terre.des groupes de soldats seront levés par les capitaines pour la garde des navires puis seront licenciés après débarquement.ils auront pour nom « soldats-gardiens » .Un règlement de 1686 régularisera cette institution en les nommant « soldats de port » 

1683 (7 Novembre) devant les menaces des incursions Iroquoises et sur la demande du gouverneur de la Nouvelle-France, le Sieur de la Barre, trois compagnies des « troupes de la Marine »  (156 hommes) seront envoyés en Nouvelle-France.

1690 Réforme de la Marine Royale et création de 80 « Compagnies Franches de la Marine » de 100 hommes chacune.Chaque compagnie est commandée par 3 officiers de marine, un lieutenant et 2 enseignes de vaisseaux et comprend :

1 capitaine, 4 sergents, 8 caporaux, 2 tambours et un fifre, 84 soldats.

Ces Compagnies échappaient au ministère de la guerre car elles n’étaient pas des régiments et pouvaient ainsi rester sous l’égide de la Marine.

1695 (30 Mai) Réglementation des Compagnies de la Marine en Amérique par le ministre stipulant l’organisation, la discipline, la justice…Le principe est d’avoir des groupes d’hommes avec une grande mobilité et une adaptabilité aux situations difficiles, donc des compagnies et non des bataillons ou régiments…Franches car indépendantes entre elles et administrées directement par leur capitaine.

1748 Réorganisation des Compagnies franches qui passent à 100 compagnies de 50 hommes avec intègration des Compagnies franches des Galères

1761 Ordonnance du 5 Novembre, les Compagnies Franches de la Marine sont supprimés après 60 années d’existence.

 

 

Organisation

 

OFFICIERS :

Le capitaine, grade plus élevé dans la Compagnie, était lieutenant de vaisseau dans la marine. De France au départ, les officiers seront peu à peu remplacés par des nobles canadiens plus expérimentés et plus motivés à défendre leur terre.Vers 1720, plus de la moitié des officiers coloniaux étaient canadiens et presque la totalité en 1755…

Le second était un lieutenant aidé d’un enseigne puis seront rajoutés vers 1730, deux cadets en apprentissage du commandement.L’enseigne et les cadets étaient souvent des fils d’officiers capitaine de compagnie en apprentissage du métier d’officier… 

SOUS-OFFICIERS :

Deux sergents, trois caporaux et trois anspessades (chef de groupe), un ou deux tambours, un ou deux fifres et les soldats…

 

 

 

Engagement

 

« Entièrement entre les mains de leurs chefs, tous officiers de marine, ces compagnies franches se firent remarquer partout où elles furent employées…»  (Pontchartrain au commissaire Massot, 11 Fev.1693).

 

Le recrutement des soldats, pour une durée de six ans, s’effectuait exclusivement en France pour permettre à la colonie de garder éventuellement ces soldats comme colons, une fois démobilisés.On pense que les recrues représenteront environ 30 % des 10000 colons français venus entre 1608 et 1755…

Nombreux  sont aussi les volontaires Irlandais et Ecossais (1745-1750) venus continuer leur lutte contre l’anglais en Amérique.L’amitié Française était déjà bien lointaine, on comptait jadis une forte proportion d’Ecossais dans les rangs de Jeanne D’Arc… Il suffit de se rappeler l’héroïsme des Irlandais pour emporter la victoire à Fontenoy…Les sévices dont ils eurent à subir, dans leur pays d’origine justifiait amplement leur ardeur dans l’engagement au sein des Compagnies Franches pour en découdre dans les forêts d’Amérique contre les anglais.La tenue bleu remplaça pour un temps le kilt.

En quête d’aventure ou pour avoir une condition de vie meilleure, les jeunes gens s’engageaient pour partir aux « Amériques ».

Une solde avec des possibilités diverses de revenues, des voyages, vie en communautés avec les canadiens, la possibilité d’un établissement avec des terres, un mariage, les amérindiennes…La moyenne d’âge se situe autour de 20 ans (entre 18 et 30 ans )  avec une taille moyenne de 1m62/63, même si certains font 1m80 et d’autres 1m58…

« Bien nourris et vêtus, payé régulièrement, de bonne relation appréciées avec leurs officiers…» (Peter Kalm).

 

 

Tenues

 

« Ne parlons pas des rigoureux hivers du Grand Nord qui obligeront nos troupiers à se vétir de peaux de bètes, comme les « sauvages », de s’emmitoufler dans tout ce qui pourra les protéger, bien loin de tout souci d’uniforme. »(E.Leliepvre).

Les tenues seront modernes avant l’heure car l’équipement fournit par les magasins de l’armée finiront par s’adapter aux tenues exigées par le terrain et le climat et nous verront alors l’évolution des tenues fournis pour l’équipement des Compagnies Franches déteindre sur l’ensemble des forces régimentaires envoyées en Nouvelle-France…

« Non seulement les soldats mais les officiers mêmes de l’armée française, portaient le costume des aborigènes : capot court, mitasses, brayets et souliers de chevreuil, cet accoutrement souple leur donnait un grand avantage sur des ennemis toujours vêtus à l’européenne. » (Philippe Aubert de Gaspé).

Pour simplifier, nous dirons que la tenue réglementaire était constitué d’un tricorne galonné d’or faux avec une cocarde noire signifiant leur appartenance hiérarchique différente des autre régiments de France…Celui-ci était remplacé par le dit « bonnet de fatigue »  plus pratique dans les forêts, confectionné avec le surplus de tissu des soldats.

Une chemise de lin, un justaucorps de drap de laine « gris-blanc »  de la Manufacture du Bagne de Marseille avec des boutons d’étain puis de laiton dorés.

D’un gilet et d’une culotte  bleu, doublée de toile de Lin grise, se terminant par 5 boutons en laiton et d’une petite sangle de cuir fermée par une boucle de laiton, les poches étaient faîtes de toile lourde de chanvre

bleu de serge d’Aumale, de laine de Mazamet vers 1700

serge bleu de laine de Mauye vers 1719, de Boisseson vers 1732…

Pour le bleu si nous prenons les habillements pour les colonies en 1734 en partance de Rochefort, nous trouvons 3 origines différentes :

Drap bleu de la Manufacture du Bagne de Marseille pour les parements,

Serge bleu de Marvejols pour la doublure,

Serge bleu de Boisseson pour les culottes,

Drap bleu de St Maixant pour les bas…

Des bas bleus, des guêtres irlandaises de toile blanche pour l’été et de laine pour l’hiver garnis de petits boutons de cuir noir mais ils utilisaient le plus souvent des mitasses amérindiennes en cuir ou en laine beaucoup plus utiles pour l’Amérique…Des souliers de cuir noir vite remplacés par des mocassins…Un fusil modèle 1728, 34 ou 46 (1m59 pour 4,2Kgs) plus court, plus léger et d’un calibre (17,50mm) plus petit que le fusil Brown Bess anglais, idéal pour la forêt et les embuscades.La portée du fusil à silex était mortel à 180 mètres…

L’ancienne cartouchière à la ceinture comportant neuf cartouches fut remplacée par une giberne comportant trente cartouches …Une épée, vite remplacée par une hachette plus pratique et une baïonnette pouvant servir de poignard à l’occasion.Des ceinturons en peau de buffle(vache).Les tambours portaient la livrée du Roi.

 

 

 

Nombre et Implantation

 

Imaginons un instant, l’étendue de territoire tenu par cette poignée de soldats, devenus au fil du temps, par la dureté du climat, les aléas du terrain, les combats,

Harcèlements, raids et traques diverses, de véritables Amérindiens.Ces hommes quelquefois livrés à eux-mêmes étaient tantôt trappeurs, soldats, cultivateurs…

La renommée combattante de ceux-ci était crainte jusqu’au cœur même de la colonie britannique, Boston…

Il faut compter 28 compagnies pour les trente premières années du XVIII ème siècle en Amérique.Celles-ci passeront à 89 vers 1750, 24 sur l’Ile Royale (île du Cap -Breton), 35 en Louisiane et aux Illinois et 30 au Canada (jusqu’à 40 à la fin de la présence Française).

Le nombre d’hommes par compagnie oscillait entre 28 et 65 mais dépassait rarement 40 hommes.Les Compagnies Franches de la Marine seront les principales troupes régulières d’infanterie au Canada jusqu’en 1755.Certaines Compagnies seront affectés à des bataillons, pour les besoins de certaines opérations, comme l’affaire du fort William-Henry avec Montcalm…

Elles seront de tous les combats de 1684 à 1755.La durée d’engagement était de 6 ans.

De Louisbourg (Acadie) aux Grands Lacs, par le St Laurent, les bassins de l’Ohio…Du Mississipi, la Nouvelle-Orléans aux plaines dominés par les Sioux et les Cheyennes…Ils gardaient les positions stratégiques et occupaient les différents forts d’Amérique…D’une grande renommée, il n’existe pratiquement pas de famille canadienne n’ayant eu un ancêtre dans ces compagnies…   

 

 

Mission

 

« Qu’il suffise de rappeler leur conduite à Carthagène en 1697, à la Guadeloupe en 1703, à Rio-de-Janeiro avec Duguay-Trouin en 1711 et, plus tard, au Canada et aux Indes, sans oublier ce qu’elles firent à l’armée de Villars, à Malplaquet et à Denain.Ce sont là, pour les troupes de la marine, des souvenirs qu’il est bon de ne pas laisser disparaître. » (A.Depréaux dans « Les uniformes des troupes de la marine et des troupes coloniales » 1931).

 

Protéger la colonie contre les incursions iroquoises.Lutter contre la contrebande et empêcher toute expansion britannique…

Les officiers avaient des responsabilités importantes car ils assuraient auprès des Amérindiens les relations diplomatique, l’organisation et la sécurité des avant-postes, les explorations…   

Les soldats étaient astreint aux divers exercices d’infanterie, tantôt fantassin,artilleur ou grenadier.Ils ouvraient les routes, coupaient les arbres, construisaient ponts, maisons et forts.Ils étaient à l’origine, formés pour subvenir  à toutes les fonctions d’un matelot sur un vaisseau.

En temps de paix les soldats vivaient parmi  la population en exerçant leurs métiers d’origine, en aidant à divers travaux, en partageant leurs connaissances, leurs expériences, leur folklore et traditions de leur terroir…Cela se terminait souvent par des mariages…Vers 1750, les villageois canadiens regroupés pour les circonstances graves en milices, disposaient sur le territoire de la Nouvelle France de 165 compagnies avec :

724 officiers, 498 sergents et 11687 miliciens…Ceux-ci avec les Amérindiens et les Compagnies franches représentaient jusqu’en 1755 les seules forces militaires pour défendre la Nouvelle France face aux régiments anglais…

 

 

 

Vie et combats

 

Dans les coins reculés, ils apprennent très vite la vie à l’indienne, ainsi que la pratique des escarmouches et embuscades dans les forêts épaisses, la technique dite de « la petite guerre »  des amérindiens leur confère une grande expérience et une grande crainte de la part des tribus hostiles et des anglais…Ils maintenaient un état de crainte chez  leurs ennemis.Ils furent utilisés comme tirailleurs par le Marquis de Montcalm pendant la guerre de 7 ans.Ces  excursions, découvertes et explorations sont accompagnés de miliciens et d’amérindiens.Lors des rudes hivers canadiens et quand ils seront livrés à eux-mêmes, loin de tout, dans les forêts, sur les montagnes ou dans les lacs en canoé, dans un environnement merveilleux mais hostile ou ils parcoureront des centaines de kilomêtres tout en guerroyant, à pied ou en raquettes …on peut les considérer comme des « Corps francs »

 

En 1754, 800 hommes composés de Compagnies Franches de la Marine et de miliciens canadiens attaquent les miliciens anglais en descendant la vallée de l’Ohio.Ceux-ci se réfugient au fort Necessity sous le commandement du lieutenant-colonel Georges Washington agé de 22 ans…

La fougue des canadiens français est telle que la position est rapidement encerclée.Washington finit par capituler et signe la reddition.

C’est jusqu’à ce jour, la seule fois qu ‘un (futur) président des Etats-Unis est capitulé devant un adversaire… 

« La meilleure troupe pour la guerre se compose d’officiers canadiens connaissant bien le pays, de quelques soldats d’élite, de plusieurs miliciens canadiens habitués au climat, de quelques canotiers et de quelques amérindiens alliés.Ces derniers servent dans le domaine de la logistique et peuvent également éffrayer les colons américains que l’on va rencontrer»  (Hertel de la Fresnière).

En Juillet 1755, la bataille sur le fleuve de la Monongahela  en est un bel exemple…850 hommes, dont 600 Amérindiens terrassent Les anglais, fort de 1500 hommes.Dans la défaite, ils perdirent un de leur meilleur officier, le général Edward Braddock…